Le livre produit de première et d’urgente nécessité !
Toulouse le 2 avril 2012
Ce lundi, la TVA sur le livre est passée de 5,5 à 7 %. Une mesure
injuste et inefficace, à contre-courant d’une démarche qui devrait faire
du livre un élément essentiel de toute politique culturelle. Venant
d’un président qui s’illustra en balayant d’un revers du menton la
Princesse de Clèves – considéré comme le premier roman moderne de notre
littérature – plus rien n’étonne… Mesure injuste pénalisant lecteurs et
bibliothèques, qui devront payer les livres plus cher, à cause d’une
hausse mécanique pratiquée par les éditeurs, supérieure au + 1,5 %
annoncé. Mesure injuste pour les libraires qui se voient imposer le
réétiquetage de dizaines de milliers de livres et une dépréciation du
stock des ouvrages de leur fonds de 1,5 %. Cette charge financière
supplémentaire – supportée essentiellement par les librairies
indépendantes dont la spécificité est d’avoir un fonds important –
s’ajoute à la concurrence des sites de vente en ligne basés au
Luxembourg qui, eux, sont taxés à 3 % au lieu de 7 %. Mesure inefficace,
car elle n’aura que très peu d’effet sur le déficit abyssal qu’elle est
censée combler. Il faut s’attaquer à l’inégalité qui perdure devant
l’accès au livre et à la lecture et qui est un des premiers facteurs de
la reproduction de l’inégalité sociale. Le livre est au croisement de
toutes les activités humaines. Il est au coeur de la construction des
individus, de leur imaginaire, de leur formation, de la transmission des
connaissances et de la découverte des autres. Le livre doit être
considéré comme un produit de première et d’urgente nécessité, dont il
faut faciliter de manière audacieuse l’accès au plus grand nombre. La
suppression de la TVA, à ce titre-là, pourrait être une des pistes,
sachant que 21 pays au monde ont exempté l’édition de toutes les taxes.
Ne serait-il pas possible de taxer davantage les produits de luxe, un
secteur qui ne connaît pas la crise et qui accumule de fantastiques
profits ? La loi d’août 1981 sur le prix unique du livre permet à la
France d’être l’un des rares pays au monde à disposer d’un réseau de 3
000 librairies indépendantes, qui participe de l’exception culturelle
française. Mais cette économie de la librairie est gravement menacée.
Nous ne mesurons pas assez combien ce qui est aujourd’hui encore un
atout contre la standardisation culturelle et la pensée unique peut
disparaître au profit des marchands, des chaînes dites culturelles, des
grandes surfaces et des commerces franchisés. Voulons-nous un monde
uniformisé et aseptisé ou voulons-nous un monde ouvert sur la création,
l’inventivité, la diversité des livres et des idées ? Tel est l’enjeu :
il ne s’agit pas de sauver un « commerce de détail » mais la «
bibliodiversité ». Les librairies sont les lieux qui font souvent la
vitalité culturelle et sociale des villes, des lieux d’échange, de vie,
de relation humaine autour des livres. Sans la librairie indépendante,
ses découvertes et ses conseils, ses prises de risques, combien de
textes exigeants, d’oeuvres nouvelles, d’auteurs, d’éditeurs n’auraient
pu rencontrer leur public ? Cette qualité a un coût : la librairie
génère proportionnellement deux fois plus d’emplois que les grandes
surfaces dites culturelles, trois fois plus que la grande distribution
et quatorze fois plus que le commerce électronique. Avec une rentabilité
net divisée par trois en moins de dix ans pour s’établir aujourd’hui à
0,3 % du chiffre d’affaires, la librairie est le secteur le moins
rentable de tous les commerces. Chacun peut comprendre que les dégâts
collatéraux provoqués par la hausse de la TVA peuvent conduire, dans les
mois qui viennent, à la disparition de nombreuses librairies. Des
mesures urgentes s’imposent. En privilégiant la librairie indépendante,
le lecteur citoyen participe à la défense de la diversité culturelle et à
l’émergence d’une société qui place l’humain d’abord.
Tribune libre publiée dans l'Humanité du 6 avril 2012
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